Michel TREMBLAY
Ma démarche… en deux temps,
J’ai longtemps travaillé à me créer des espaces de contemplation méditative. Quelque chose comme des havres de paix, de beauté et de cohérence où je pouvais à loisir me reposer du bruit et du désordre ambiants. Pour en arriver à créer ces espaces, l’écriture sous toutes ses formes, l’univers conceptuel des arts visuels et une certaine forme de mysticisme proche de celui des anarchistes mystiques russes du début du XXe siècle contribuèrent à alimenter tout autant mes questionnements que mes réponses. En réaménageant et fusionnant bien des idées issues de ces divers « regards » sur le monde, j’ai ainsi pu me créer toutes sortes de prismes, verres et lentilles conceptuels qui me permirent de regarder la réalité avec - comme j’aimais le penser à l’époque - des yeux neufs, des yeux, souvent aussi, émerveillés. De fil en aiguille, ces espaces, de tout petit qu’ils étaient au début, devinrent même avec le temps tout un monde, devinrent même… tout mon monde.
Puis, il se trouva qu’un jour j’ai réalisé que, finalement, tout ça ne m’intéressait plus. Peut-être avais-je fait le tour de mes mots, de moi-même et de mon jardin? Toujours est-il qu’un peu comme la chenille finissant par se transformer, j’ai fini par sortir de mon cocon pour me retrouver à être et virevolter, moi aussi, avec les autres pendant un temps. C’est dans ce contexte d’ouverture nouvelle à une réalité extérieure à redécouvrir un peu comme pour la première fois que la photographie m’a alors semblé aller de soi. Après tout, n’avait-elle pas, elle aussi, son lot de verres, de prismes et de lentilles.
Mais, même si nous changeons et nous transformons, pouvons-nous échapper à nous-mêmes? Encore aujourd’hui, je travaille avec les sujets que je capte grâce à mon appareil photo comme je travaillais autrefois avec mes mots lorsque j’étais à leur écoute. Photographiant la nature et mon environnement dans l’ordinaire et le trop connu de ceux-ci, je suis attentif aux légers bruissements et murmures se dégageant de tout plein de tous ces petits riens sur lesquels peu de personnes prennent le temps de s’arrêter. Est-ce que l’ordinaire peut être extraordinaire lorsqu’on s’emploie à l’amener jusqu’à son plein potentiel de beauté? Moi, je pense que oui. Bref, plutôt que de photographier des scènes, des gens ou des paysages déjà beaux de toute cette beauté qui était la leur, je préfère rendre visible et unique ce qu’on ne voyait pas, ce qu’on ne voyait plus et amener tous ces petits riens laissés pour compte jusque dans cette éternité sans début ni fin de leurs singulières, et souvent majestueuses, présences au monde.